Pour expliciter le procédé constructif HB-balkar
, inventé par Hilding Brosenius au tournant des années 1940 : une poutre en bois, reconstituée, dont l’âme est formée de deux ou plusieurs couches de planches se croisant en diagonale, et dont les ailes sont composées de deux ou plusieurs couches de planches superposées
1, nous reviendrons sur le gymnase d’Espoo-Otaniemi, conçu et réalisé par l’architecte Alvar Aalto et inauguré en 1952, dont la structure (de bois) permet de couvrir un espace dégagé d’une portée de 47 mètres, que nous avons pu visiter en 2019.
Lors des premières étapes de la mise au point de son procédé, les ailes 2 des poutres HB
imaginées par Hilding Brosenius étaient constituées d’éléments de bois massif de la plus grande longueur possible et assemblés par clouage à une âme composée de planches ; mais, suite à la découverte d’inconvénients relatifs à l’emploi d’une telle disposition (difficulté de parvenir à une bonne transmission des efforts d’un morceau de bois à l’autre dans les semelles, nécessité d’employer des longueurs de bois massif coûteuses pour réduire le nombre de joints dans les ailes, risque de fissuration dans le cas d’un clouage dense, etc.), il fut envisagé de concevoir des poutres avec des ailes que l’on pourrait dire stratifiées, c’est-à-dire : composées de couches de planches superposées et collées, de section et de dimensions identiques à celles de leur âme 3.
Dans le processus de fabrication des poutres imaginées par l’ingénieur suédois, les ailes sont fabriquées (par moitié) indépendamment des âmes, avant d’être assemblées à celles-ci. Le procédé ainsi retenu pour la réalisation des ailes est constitué d’une couche d’au moins trois planches de 1 pouce d’épaisseur (ou, au plus, de six planches, comme c’est le cas pour le gymnase construit à Espoo-Otaniemi) ; les planches (identiques en longueur) sont collées entre elles, couche par couche, et reliées longitudinalement au moyen d’un joint (les types de joints pouvant être divers, nous reviendrons sur cet aspect) ; toujours dans le sens longitudinal, les planches sont décalées les unes par rapport aux autres pour que les joints de planches ne se superposent pas d’une couche de planches à l’autre et que les efforts se répartissent ainsi, de proche en proche, sans déliaison, dans les ailes. Les demi-ailes ainsi formées sont positionnées, en partie supérieure et en partie inférieure, de part et d’autre de l’âme de la poutre à laquelle elles sont clouées.
D’un point de vue statique, les ailes d’une poutre doivent être capables de reprendre des efforts de compression (en partie supérieure) et, simultanément, des efforts de traction (en partie inférieure).
Le joint que l’on pourrait dire primitif entre deux planches coupées à la perpendiculaire (semblable au joint des ailes envisagées initialement en bois massif, lors des premières étapes de conception du procédé), transmet difficilement des forces d’un morceau à l’autre ; la capacité de ce type de joint n’étant que de résister à des efforts de compression, il ne serait donc efficace que dans la partie supérieure de la poutre. En revanche, si un chevauchement longitudinal (couplé à un assemblage) est ménagé entre les planches des ailes, une transmission de tous types d’efforts est envisageable et conduit à une meilleure résistance générale de la poutre, tant à la compression qu’à la traction.
Trois solutions furent alors envisagées par l’ingénieur Hilding Brosenius pour la résistance des ailes de ses poutres, afin de conduire à une bonne transmission des efforts d’un morceau à l’autre : couper obliquement l’extrémité des planches pour obtenir un biseau d’une longueur au moins égale à 7 fois l’épaisseur de la planche (profil en scarf) 4 ; mais ce type de liaison n’empêchant pas le glissement des planches au moment de la réalisation des ailes, un joint à entaille
– dont la forme s’apparente à un assemblage à trait de Jupiter simple (réalisé avec des outils spéciaux) – fut proposé pour permettre d’assembler avec précision les planches sans glissement ; plus tardivement, un aboutage par entures multiples horizontales – comme on peut le voir employé, aujourd’hui, pour la réalisation des charpentes en lamellé-collé – fut développé et utilisé.

Planches collées et clouées formant la demi-aile d’une poutre constituant le piétement d’un portique ; un joint à
entailleest visible sur la planche extérieure
Quel que soit le type de joint employé, les surfaces longitudinales des planches assemblées pour former les demi-ailes sont toujours encollées 5 et, par serrage à la presse (ou simplement par clouage 6), ces planches sont maintenues en place le temps du séchage de la colle. Le collage 7 des planches formant les demi-ailes signifie une union de l’ensemble des éléments en bois qui, du point de vue de la rigidité, fonctionne comme une seule unité solide, comme si la poutre possédait – en quelque sorte – des ailes de bois massif sans joint sur toute sa longueur. Tant que le joint de colle dure, le transfert des efforts dans la matière, d’une planche de bois à une autre sur la longueur de la poutre, se fait par cette connexion. Dans un joint collé et cloué, le clouage ne sert que de sécurité en cas de rupture du joint de colle. Cependant, cette précaution du clouage s’avère nécessaire car, en raison de sa rigidité, le joint de colle est également plus sensible aux surcharges 8. En cas de rupture du collage, le clou sert alors de joint entre les planches : si l’ensemble du collage (appliqué entre les planches superposées des demi-ailes, ainsi que dans les joints longitudinaux des planches) venait à être inopérant, quelle qu’en soit la raison (surcharge ou non), la rigidité des ailes diminuerait, mais une partie importante de la résistance de la poutre demeurerait, car la liaison entre les planches – par la présence des clous unifiant les ailes aux âmes – ne serait pas totalement rompue.
Si la constitution des ailes joue un rôle majeur dans les poutres HB
, la capacité de résistance de ces poutres est également liée à la composition de leur âme et, en particulier, à la disposition choisie pour les planches qui la forment.
Comme évoqué, l’âme des poutres HB
est donc généralement formée de deux couches de planches croisées ; de par cette disposition, lorsqu’une poutre HB
se trouve entre deux appuis, des forces antagonistes apparaissent concomitamment dans les deux couches des planches constituant l’âme : lorsqu’un effort de compression apparaît dans une couche, un effort de traction apparaît simultanément dans l’autre. Du fait de cette reprise alternée des efforts sur la longueur de la poutre, ceux-ci s’équilibrent ; grâce à l’agencement et à la liaison des planches qui en constituent l’âme ainsi que les ailes, la poutre peut ainsi résister et acquérir une capacité à franchir de grandes portées.
Concernant l’assemblage des ailes à l’âme, une liaison mécanique (par clouage) remplace une liaison adhésive (par collage), cette dernière ne pouvant s’avérer pérenne du fait de l’agencement croisé des planches des âmes des poutres HB
9. En effet, pour une bonne rigidité du collage et une résistance durable de l’ouvrage, les pièces de bois collées doivent être orientées dans la même direction et présenter ainsi les fibres de leur surface de contact parallèles. Dans le cas d’une disposition croisée des fibres, l’adhérence entre les éléments ne peut pas être assurée durablement, ce qui rend alors incertaine la résistance du collage dans le temps. Cette raison technique explique probablement la nécessité d’un clouage, relativement dense, reliant en une fois (par un clou de grande taille) les deux demi-ailes de part et d’autre de l’âme.
Les âmes des poutres HB
ont – généralement – été composées de deux couches croisées de planches. Si cette disposition paraît économique et d’une résistance suffisante pour des poutres de portées moyennes, elle conduit à quelques inconvénients pour des franchissements plus importants qui demandent des poutres plus élancées et donc davantage soumises au risque de flambement 10.

Les raidisseurs de flambement scandent verticalement l’âme des poutres des portiques ; le contreventement de l’édifice est visible entre chaque portique
Pour pallier le problème de déformation transversale des poutres élancées, il est apparu nécessaire à l’ingénieur Hilding Brosenius de proposer des raidisseurs
de flambement répartis uniformément sur toute la longueur des poutres (à intervalles inférieurs à la hauteur de l’âme) et disposés perpendiculairement aux ailes ; ce procédé fit l’objet d’un dépôt de brevet, accordé, en Suède, le 10 mars 1949 et publié le 10 mai de la même année sous le numéro 124 866. Ces renforcements – que l’on pourrait comparer à des brides
, eu égard à leur fonctionnement et leur mise en œuvre – se composent de deux tasseaux de bois (d’une section moyenne de 1 pouce et demi, soit 33 mm d’épaisseur et de 3 pouces, soit 66 mm de largeur 11) placés de part et d’autre de l’âme, en face l’un de l’autre, et interconnectés par clouage (éventuellement – et en complément du clou – par collage). Avec un minimum d’apport de matière, la section ainsi composée s’avère d’une grande rigidité et contribue à une stabilisation latérale de la couche croisée des planches formant l’âme de la poutre. Ce procédé fut employé avec succès dans nombre de réalisations, en Suède (ou au-delà), et permit des franchissements importants, tels que ceux nécessaires, par exemple, pour la construction de hangars pour avions 12.
Les poutres HB
– comme toute poutre en I – peuvent être utilisées, indifféremment, à l’horizontale ou à la verticale, permettant ainsi une utilisation polyvalente des éléments composés de manière à reprendre des efforts de compression et des efforts de traction. Il est, par exemple, ainsi possible de réaliser à partir de ces éléments des structures en portique ; se pose alors la question de la jonction (à angle droit, ou quasiment) de deux de ces éléments (l’un formant une poutre et l’autre formant un poteau).
Par ailleurs, l’un des enjeux de l’invention des poutres HB
étant d’augmenter la portée libre des structures, en particulier pour dépasser celle des fermes traditionnelles en bois, les questionnements de l’ingénieur Hilding Brosenius portèrent aussi sur le fractionnement et la recomposition des éléments porteurs préfabriqués, au regard de la problématique du transport d’éléments de grandes dimensions :
– Serait-il possible de fabriquer séparément, en usine, les éléments d’une structure en portique (poteau d’un côté, poutre de l’autre) et de les assembler uniquement sur le chantier après livraisons séparées des pièces ?
– Comment relier de manière rigide ces éléments pour conserver une résistance élevée dans la connexion des pièces et ainsi parfaitement transférer les forces de l’horizontale à la verticale et inversement ?
– Comment relier ces éléments sans l’emploi de raccords métalliques spéciaux qui augmentent le coût de fabrication de l’ouvrage ? etc.
Pour répondre à ces questions, Hilding Brosenius chercha à employer le même mode d’assemblage que celui déjà utilisé pour la composition des poutres elles-mêmes : le clouage (éventuellement associé à l’emploi de colle). Pour répondre à la problématique de la résistance générale d’une structure en portique, Hilding Brosenius ne considéra pas le transfert des forces (de l’horizontale à la verticale, ou inversement) sur une ligne médiane diagonale partagée par la poutre et le poteau – c’est-à-dire : sur un joint oblique entre la poutre et le poteau –, mais plutôt sur un maximum d’éléments pouvant collaborer dans la portion trapézoïdale dessinée par la rencontre du sommet du poteau et de l’extrémité de la poutre (ce qui correspond à la partie identifiée en H dans l’illustration, ci-dessous). La solution développée par l’ingénieur fit, là encore, l’objet d’un brevet déposé, en Suède, sous le numéro 108 235, accordé le 17 juin 1943 et publié deux mois plus tard 13.
Telle que proposée par Hilding Brosenius, la connexion d’angle de deux poutres est réalisée sur le chantier de construction par enfourchement, le poteau recevant et supportant, pour ainsi dire naturellement, la poutre horizontale par une adaptation de son dessin. La poutre en I formant poteau est alors dépourvue d’âme dans sa partie supérieure, mais ses ailes sont prolongées – d’une longueur correspondant à la valeur de l’élancement de la poutre horizontale à supporter – de manière à pouvoir la moiser lors du montage du portique (cf. fig. 2 dans l’illustration ci-dessus) ; l’âme de la poutre horizontale est, quant à elle, continue sur sa longueur et une fois les deux éléments porteurs réunis et assemblés par clouage au niveau des ailes de la poutre formant poteau, l’âme devient commune aux deux éléments du portique (la poutre et le poteau). Le clouage assure le maintien de l’assemblage des éléments, afin de transférer les forces d’une poutre à l’autre au niveau des ailes et assurer la continuité des efforts dans la matière. La partie trapézoïdale enchevêtrée
(âme et ailes), délimitée par l’extrémité de la poutre et le sommet du poteau, absorbe le transfert de ces efforts et le clouage est ainsi la seule connexion que les ouvriers ont à exécuter sur le chantier ; l’emploi de connecteurs métalliques ou de ferrures spéciales est alors ici supprimé.
Comme évoqué, le gymnase conçu par Alvar Aalto constitua – dès sa réalisation – une prouesse technique, car il employait les plus grandes travées du monde pour une construction à poutres en bois clouées, à savoir 47 mètres
14. Aussi, dans le cas de cette réalisation s’est particulièrement posée la question du transport des éléments. En effet, bien que les éléments de la structure n’aient pas été réalisés sur place, les jambes des portiques du gymnase d’Espoo-Otaniemi semblent avoir été réalisées d’un seul tenant ; seules les poutres ont été fractionnées en deux ou quatre tronçons, selon leur portée. Il s’agit ici (en partie) de l’application de deux autres procédés développés et brevetés en 1944 et 1945 par Hilding Brosenius 15 : chaque tronçon de poutre du gymnase est composé de deux couches de planches croisées qui en forment l’âme (auxquelles ont été ajoutés des raidisseurs de flambement), cette âme est elle-même flanquée d’ailes constituées de planches collées et clouées ; chacun de ces tronçons forme un panneau terminé lorsqu’à chacune de ses extrémités est placée verticalement une (ou plusieurs) planche de manière à former un cadre rigide (ce qui correspond aux éléments identifiés A et B du a/ de la figure 17 dans l’illustration ci-dessous).

La liaison de ces panneaux se fait par recouvrement de planches : aux extrémités des cadres, les planches des ailes sont raccourcies de couche en couche pour former, en quelque sorte (et par miroir selon l’axe du joint entre deux panneaux), des réservations qui seront ensuite comblées, par un ajustement précis sur le chantier, à l’aide de planches du même type, collées et clouées à chaque portion de poutre à la manière d’un éclissage ; les âmes sont également assemblées par le recouvrement (sur une largeur d’environ 60 cm) de planches clouées (éventuellement collées), mais, dans ce cas, selon une disposition de couches croisées (comme les planches constituant les âmes). Cette jonction forme une sorte de panneau de recouvrement aux extrémités des âmes qui moise les planches verticales des cadres des sections de poutres contigües, afin de transmettre les efforts normaux 16 à travers le joint, c’est-à-dire de part et d’autre des deux tronçons de ce qui constitue, au final, une même poutre 17. Les différents assemblages reconduisent la disposition des parties à unir pour assurer entre elles la continuité.
Le but recherché par l’ingénieur Hilding Brosenius, lors de la conception de ces procédés d’assemblages des tronçons de poutres, aura été de permettre une construction extrêmement bon marché
18 et pouvant être réalisée sur le lieu du chantier, sans outillage spécial. L’enjeu aura aussi été de parvenir à concentrer l’assemblage de manière à ce que la structure acquiert une apparence élégante
19 ; cette intention d’Hilding Brosenius aura peut-être incité l’architecte Alvar Aalto à souhaiter travailler avec cet ingénieur.
(source : Museovirasto [Direction des musées de Finlande] / Collection Helge William Heinonen (1922-2012), photographe)
La charpente du gymnase d’Espoo-Otaniemi, fut fabriquée dans trois usines finlandaises différentes ; l’assemblage des éléments sur le chantier vient d’être évoqué, mais le système HB-balkar
, tel que proposé par Hilding Brosenius, pouvait également être exécuté directement sur le lieu de construction en recourant à l’emploi d’outils rudimentaires tels que : haches, marteaux et scies. Pour la bonne exécution de l’ouvrage sur place, sans préfabrication, seule semble compter une surface de travail plane correspondant – au minimum – à la longueur de la poutre la plus longue à exécuter. Le clouage s’opère au marteau (ou à la hache), parfois au marteau pneumatique ; ne pouvant alors recourir à des techniques permettant une rationalisation des tâches à même de contribuer à réduire le temps de réalisation, ce type de fabrication in situ induit toutefois une main d’œuvre relativement conséquente. Les conditions climatiques des pays scandinaves rendant cette question d’autant plus cruciale que le travail en extérieur y est rude une bonne partie de l’année, il est donc tout à fait légitime de chercher à développer des techniques constructives prenant appui sur la préfabrication en usine ou en atelier.
En amont de la fabrication, une autre souplesse
permise par ce procédé mériterait encore d’être relevée : par l’emploi d’éléments standards agençables et adaptables (nombre de planches, leur longueur ou leur disposition), le système des poutres HB
permet une variation dans les géométries et les sections des poutres, autorisant les concepteurs à explorer le dessin d’une multitude de typologies de structures et d’ouvrages par la variation de leurs formes et de leurs dimensionnements.
Lorsque l’on se remémore les propos tenus par Alvar Aalto, lors du Forum nordique de la construction à Oslo, en 1938, ceux-ci pourraient aussi expliquer l’intérêt de l’architecte pour le travail d’Hilding Brosenius : les éléments et les matériaux correctement standardisés se prêtent à de nombreuses combinaisons. Il m’est arrivé d’affirmer qu’il n’est meilleur comité de standardisation que la nature elle-même, mais dans la nature, la standardisation porte surtout et presque exclusivement sur les petites unités, les cellules. Il en résulte des millions de possibilités combinatoires excluant tout danger d’uniformité. D’où, également, une infinie richesse, un éternel renouvellement de formes en devenir perpétuel et organique. En matière de construction, la standardisation doit suivre la même voie
20. La planche de bois – dans son élémentaire simplicité – serait peut-être cette petite unité
à l’origine d’une multiplicité de créations.
Si le système mis au point et breveté par Hilding Brosenius amène à questionner le jeu des forces à l’œuvre dans les structures de formes compactes élaborées pour le couvrement de grandes portées, il participe aussi d’un questionnement sur la rationalisation de l’emploi de la matière, ainsi que sur la recherche de correspondances entre la forme des éléments porteurs et la destination des ouvrages. En envisageant des structures en bois dont la conception évolue de la ferme (traditionnelle) au portique (à deux ou trois articulations) – c’est-à-dire : en parvenant à se passer des entraits (tirants de bois ou de métal) et des poinçons des charpentes – le procédé proposé par l’ingénieur Hilding Brosenius supprime le volume du comble. Cette recherche constructive a permis de parvenir à couvrir de grands espaces libres dont la limite devient le bord inférieur de poutres en I à grands moments d’inertie
21. Comme cette recherche aura aussi participé à maintenir le matériau bois dans la construction d’ouvrages où le métal aurait – certainement – pu avoir la primauté. Ainsi matérialisée par l’emploi d’une ressource localement disponible et renouvelable, la poutre HB
a-t-elle participé à inscrire – durablement – la construction de structures en bois dans la modernité des programmes du XXe siècle, en prenant tout son sens dans la réalisation de grandes halles, telles que des hangars pour avions ou des gymnases, par exemple.

(source : Hilding Brosenius. En uppfinnare minns. Stockholm : Carlssons, 1999)
Lorsqu’en 1990, Hilding Brosenius publia son rapport sur la poutre HB
, une quarantaine d’années s’étaient écoulées depuis la construction des premiers bâtiments employant le système HB-balkar
et l’ingénieur dit avoir alors inspecté un grand nombre d’entre eux en prêtant attention aux déformations des structures, à l’état des clous, au vieillissement du bois, à la présence de moisissures, etc., pour évaluer la viabilité et la durabilité de son système.
Si des déformations sur quelques poutres droites soumises à des contraintes admissibles élevées avaient parfois pu être constatées, la majeure partie des structures construites avec ce procédé lui parut avoir résisté convenablement aux efforts et aucun défaut d’assemblage entre les planches et les clous ne lui fut visible. Une parfaite étanchéité et une bonne ventilation des bâtiments semblaient néanmoins être de rigueur, car, parmi les facteurs susceptibles de limiter la durabilité de telles structures, se trouve celui du risque de pourrissement des bois dû à une exposition prolongée des poutres à l’humidité (pouvant d’ailleurs se combiner avec l’altération de la colle et des clous).
En 2019, notre visite du gymnase d’Espoo-Otaniemi, nous a permis – une trentaine d’années plus tard – de faire le même constat général que l’ingénieur Hilding Brosenius : malgré certaines adaptations aux usages et pratiques sportives contemporaines et à une recherche de confort (thermique et lumineux), les portiques de bois de la vaste halle apparaissaient ne pas avoir subi d’altération.
L’architecte finlandais aura visiblement su tirer parti de l’invention de l’ingénieur suédois, comme il aura su exploiter les ressources locales ainsi que la capacité des industries finlandaises et, à une échelle plus large, Alvar Aalto aura su, en même temps, répondre à l’attente de l’ingénieur Robert Le Ricolais qui voyait dans les travaux d’Hilding Brosenius une évolution rapide de l’art de la charpente et qui souhaitait que les techniciens et architectes qui s’intéressent à ces problèmes soient en mesure d’utiliser les avantages de ces nouvelles techniques et mieux encore, de trouver des entreprises de charpente disposées à sortir des ornières où elles cahotent depuis trop longtemps
22.
- Brevet n° 111 493, accordé en Suède le 15 juin 1944 et publié le 15 août 1944, sous le titre : Anordning för skarvning av flänsbalkar av trä [Dispositif pour réunir des poutres à semelles (ou ailes) en bois]. retour
- Dans une poutre, l’âme est la partie verticale qui définit sa hauteur (son élancement), tandis que les ailes (ou semelles) sont les parties horizontales – supérieures et inférieures – qui définissent sa largeur ; ces deux parties dessinent, en coupe, un profil en I . retour
- Ce procédé correspond au brevet n° 111 712 intitulé : Flänsbalk av trä [Poutre à semelles (ou ailes) en bois], accordé, en Suède, le 6 juillet 1944 et publié le 5 septembre 1944. retour
- La forme de ce joint permet un transfert progressif des efforts d’une planche à l’autre : alors que la section d’une planche diminue, corollairement, celle de la planche en miroir augmente. retour
- Le collage entre deux surfaces de bois signifie, en principe, que celles-ci sont liées rigidement, c’est-à-dire qu’aucun mouvement élastique ou déformation entre les surfaces ne peut théoriquement se produire. retour
- L’effet de pression nécessaire pour qu’un joint adhésif obtienne une bonne résistance peut également être obtenu par un clouage temporaire ; remplaçant la presse, les clous maintiennent les parties collées avec une pression suffisante. retour
- La colle à la caséine semble avoir la préférence d’Hilding Brosenius dans ses écrits. D’origine animale, la colle à la caséine (protéine lactique) est largement utilisée au début du XXe siècle dans l’industrie du bois (en particulier pour la fabrication du contreplaqué) ainsi que dans l’aéronautique. D’un coût faible, utilisable à une température ambiante supérieure à 10°C, la colle à la caséine ne nécessite pas de forte pression lors du collage et possède l’avantage de combler les irrégularités entre les surfaces du bois tout en conservant sa résistance. En contrepartie, cet assemblage adhésif ne résiste pas convenablement à l’humidité. retour
- Pour préciser ici les deux liaisons évoquées : le joint par collage est une jonction rigide, sans mouvement mesurable, qui cesse à la limite de rupture ; en revanche, le clouage est une articulation plastique (élastique) qui accuse des déformations avant rupture. retour
- Dans le cas d’ailes parallèles entre elles, on considère l’agencement des planches des âmes le plus favorable comme celui leur permettant de former un angle de 45° avec les planches des ailes. retour
- Dans le domaine de la résistance des matériaux, une poutre soumise à un effort de compression a tendance à se déformer dans une direction perpendiculaire à l’axe de compression lorsque la résistance mécanique de l’âme est dépassée. Plus l’élancement de la poutre est important, plus le risque de flambement augmente. retour
- Ces dimensionnements sont donnés dans le brevet n° 124 866 intitulé : Flänsbalk av trä [Poutre à semelles (ou ailes) en bois], publié le 10 mai 1949. Les épaisseurs des planches indiquées par Hilding Brosenius correspondent à la production suédoise ; en Finlande, l’épaisseur des planches semble moindre. retour
- En 1946, à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol aux Pays-Bas, un hangar pour avions d’une portée de 42 mètres fut réalisé grâce à l’emploi de poutres
HB
renforcées par des raidisseurs de flambement. retour - Ce brevet est intitulé : Anordning för förbindning av två eller flera flänsbalkar av trä i bruten vinkel [Dispositif pour relier en angle deux ou plusieurs poutres de bois en I]. retour
- Hilding Brosenius. En uppfinnare minns. Stockholm : Carlssons, 1999. retour
- Le premier brevet porte le n° 111 493 et fut accordé en Suède le 15 juin 1944 et publié le 15 août 1944 sous le titre : Anordning för skarvning av flänsbalkar av trä [Dispositif pour réunir des poutres à semelles (ou ailes) en bois] ; le second brevet porte le n° 114 478 et fut accordé en Suède le 9 mai 1945 et publié le 10 juillet 1945 sous le titre : Livskarv till flänsbalkar av trä [Joint pour poutres à semelles (ou ailes) en bois]. retour
- L’effort normal est un effort perpendiculaire à la section d’une poutre ; il représente la transmission des efforts axiaux au niveau d’une articulation. La question est, ici, la bonne transmission des efforts d’un élément à un autre ; la jonction des éléments est un point crucial pour la résistance d’un ouvrage. retour
- Dans l’article HB-balkar publié dans la revue Teknisk Tidskrift (fascicule numéro 6, daté du 22 juin 1940), Hilding Brosenius mentionne – après essais de charges – que ce type de jonction s’avère avoir la même résistance qu’une poutre non fractionnée. retour
- Extrait du brevet n° 114 478 intitulé : Livskarv till flänsbalkar av trä [Joint pour poutres à semelles (ou ailes) en bois], accordé le 9 mai 1945. retour
- Ibid. retour
- Alvar Aalto, De l’influence des matériaux et des structures, discours prononcé à Oslo, en 1938, lors du Forum nordique de la construction. La présente citation est tirée du catalogue d’exposition Alvar Aalto de l’œuvre aux écrits. Paris : Éditions du Centre Pompidou, 1988. retour
- Robert Le Ricolais, La technique du bois : nouvelles charpentes en Suède, L’Architecture d’Aujourd’hui, n° 10, mars 1947.
Le termemoment d’inertie
employé par Robert Le Ricolais (1894-1977) renvoie à la notion de résistance, en particulier à la difficulté de mettre le système en rotation. retour - Robert Le Ricolais, La technique du bois : nouvelles charpentes en Suède, op. cit. retour